Point de Non-Retour,
Pay-off

Après quelques négociations en coulisses et la peur très présente de l’annulation abrupte – mais cela était déjà en passe de devenir une habitude – Babylon 5 avait été renouvelée pour une troisième saison. Pour autant, il est difficile de parler de routine. Car si le changement prendrait cette saison des allures moins spectaculaires que lors de la précédente (qui avait marquée l’arrivée de Bruce Boxleitner dans le nouveau rôle principal de la série), il n’en serait pas moins présent.
En effet, l’année précédente avait marqué le lancement total et définitif de la mythologie de la série, dont les bases avaient été patiemment posées. Une guerre se profile à l’horizon. Dès le début de la troisième saison, le voice-over du nouveau générique met les choses au clair : elle frappera cette année. D’ailleurs, le logo de la station a été modifié, et une épée a pris la place de la branche d’olivier. Devant cette situation explosive, Babylon 5 prend donc, plus que jamais, la forme d’un feuilleton. Même si J. Michael Straczynski veille à ce que chaque épisode ait sa propre structure narrative, il est le premier à expliquer que le souci de continuité cette saison devenait majeur. Prenant conscience du fait qu’il perdrait un temps considérable à essayer de confier à d’autres scénaristes les parcelles d’un tout indivisible, il décide donc qu’il écrira l’intégralité des 22 épisodes. Nous sommes avant l’explosion de la carrière de David E. Kelley, ce sera une première aux Etats-Unis.

La saison de tous les risques
D’un point de vue dramatique, la saison s’articule autour de l’épisode ‘‘Point de non retour’’, qui lui donne son titre. La première moitié constitue une montée en puissance. D’une part, les forces de Sheridan et de Babylon apprennent à connaître et utiliser leurs ressources en prévision de l’inévitable conflit avec les Ombres ; d’autre part, ils se trouvent pris dans l’étau de plus en plus étouffant du régime du Président Clark. Après les signes avant coureur de la seconde saison, il devient de plus en plus clair que l’Alliance Terrestre verse chaque jour un peu plus dans le totalitarisme. Alors, entre ses préparatifs de guerre, l’Etat-Major de la station doit jouer au chat et à la souris avec leurs propres hommes, ceux qui ont rejoint la Garde de Nuit, institué par le Ministère de la Paix pour traquer les ‘‘idées néfastes’’ et les traîtres.
‘‘Point de Non-Retour’’, donc, et l’épisode qui lui fait suite, ‘‘Severed Dreams’’ marque l’aboutissement de cette trame, lorsque, après avoir obtenu la preuve de l’implication de Clark dans l’assassinat du Président Santiago, et après avoir découvert que son gouvernement était lié aux Ombres, Sheridan est placé face à ses responsabilités. Pour continuer son combat, une seule possibilité : faire sécession avec la Terre, et transformer Babylon 5 en Etat indépendant, siège de la résistance, désormais tant contre les Ombres que contre Clark. La série vient d’opérer un changement de configuration radical et rare : ce qui en constituait le centre – la hiérarchie militaire, son rôle d’ONU dans l’espace – est balayé. Nos personnages évoluent donc seuls, désormais, et la station en elle-même passe d’un rôle diplomatique à celui d’avant-poste dans une guerre de terreur contre un ennemi à la puissance écrasante.

Une fois que Babylon 5 a, temporairement, été mise à l’abris de la Terre, la seconde partie de la saison se consacre donc à l’escalade du conflit avec les Ombres. Tandis que l’on commence à percevoir les objectifs qui animaient leurs actions ces deux dernières années – et notamment la manière dont ils ont utilisé les Centauris pour déstabiliser une grande partie des mondes de la Ligue, l’arrivée de G’Kar au sein du Conseil de Guerre permet de leur découvrir un point faible. Un des faits introduit dès le Pilote de la série – la disparition des télépathes Narns 1000 ans plus tôt trouve en effet une explication lorsque nous comprenons que les Ombres, qui avaient à cette époque installé une base sur Narn, les craignaient et les ont donc exterminé. La prise de contrôle par les Ombres du Corps Psi, qui provoque l’improbable alliance des forces de Babylon et de Bester, s’en trouve elle aussi expliquée.
Fort de cette arme, l’armée de Lumière engage donc une bataille d’envergure contre les Ombres, et leur inflige une défaite. La réponse ne se fera pas attendre, et le season finale voit débarquer sur la station celle qu’on croyait morte : Anna Sheridan. Elle provoquera l’événement prophétisé depuis le milieu de la seconde saison : la venue de Sheridan sur Z’Ha’Dum. Kosh avait annoncé annoncer qu’il y mourrait. Contre toute attente, les dernières minutes de la saison... semblent lui donner raison.

La naissance d’un amour
Il avait connu ses prémisses à la fin de la seconde saison, notamment lors du sublime ‘‘Confessions and Lamentations’’, cette saison le verra, progressivement, par touches subtiles et empreintes de maladresses, éclater au grand jour. L’amour qui s’installe entre Sheridan et Delenn est tout autant un paradoxe qu’une quête d’équilibre. Pour Sheridan, aimer Delenn c’est trahir la mémoire d’Anna, sa femme décédée deux ans plus tôt, mais c’est aussi renaître à la vie. Et si se lier à elle est aussi ce qui l’a mis à la place dans ce conflit qui, chaque jour, lui coûte un peu plus en terme de perte d’innocence et d’idéaux, c’est Delenn elle-même qui seule peut apporter à Sheridan cette part d’innocence et d’enfance qui le quitte inexorablement. Delenn, en toute conscience, continue donc, par jeu largement plus que par dévotion (rappelons que les changements drastiques qu’elle a subi l’ont été à l’encontre de ses autorités politiques et religieuses), d’emmener Sheridan au travers du parcours des rites et rituels Minbaris. Delenn connaît ses propres paradoxes. Sheridan était un héros de la guerre contre son peuple, mais son rapprochement poursuit ce qu’elle a engagé par sa transformation – et qui l’isole pourtant de son peuple.

A l’image de ce couple, cette saison est celle où la caractérisation des personnages de la série atteint sa puissance maximale. Les deux saisons précédentes les ont considérablement bien installés dans leurs rôles et les avaient chargés de nombreuses couches et de défauts Humains. Devant la puissance des événements qui les entourent, les différents personnages se trouvent tous poussés dans leurs retranchements et amorcent leurs grandes évolutions. Inévitablement G’Kar et Londo resteront les plus marquants. Devenu l’unique voix libre d’un peuple à genoux. G’Kar connaît cette saison sa révélation, provoquée en coulisse par un Kosh à qui il sera bientôt rappelé qu’il ne peut pas se contenter de tirer les ficelles. ‘‘Certains doivent être sacrifiés pour que nous soyons tous sauvés’’, a appris G’Kar. Cette phrase sera une ligne de conduite, une explication du passé mais, surtout, un moyen d’accéder à la grandeur qu’il recelait en lui.
Londo, lui, poursuit son ascension vers les ténèbres, poursuivant sa succession de mauvais choix. Celle de répudier Morden sans s’en soucier, simple façon de faire l’autruche face au problème qu’il a réglé. Celle de se laisser entraîner toujours plus loin dans les turpitudes de la cour Centaurie. Celle, enfin, de renouer avec Morden après une manipulation cruelle de sa part. S’il est de plus en plus ancré dans les ténèbres, Londo n’est pourtant en rien mauvais et les épisodes nous la rappellent souvent, depuis sa réaction au retour annoncé d’Adira à son alliance improbable avec G’Kar en fin de saison qui lui permettra de régler de manière horrible ses comptes avec Lord Refa.

De son coté, le Dr. Franklin voit aboutir la trame de son addiction aux stimulants, introduite dès la fin de la seconde saison. Devenu accro, il est contraint de démissionner de son poste. Suivant les préceptes de religion, il partira alors au travers de la station en quête de lui-même jusqu’à, finalement, se retrouver.
Cette troisième saison voit l’introduction au générique de deux nouveaux personnages (après trois départs à l’issue de la saison 2 : Talia, Keffer et Na’Toth).
Lyta Alexander fait aussi son retour, pour l’instant simplement en tant que personnage récurrent. Les deux nouveaux sont Zach Allan, l’adjoint de Garibaldi introduit à la fin de la saison précédente. L’autre débarque dans le premier épisode de l’année :le très formidable ranger Marcus Cole. La promotion d’Allan se justifie par la montée en puissance de l’arc de la garde de Nuit, à laquelle il a adhéré à la fin de la saison précédente. Dans la seconde moitié de l’année, ses apparitions se font plus sporadiques, si bien qu’on est plus très sûrs de savoir ce que peut nous réserver le personnage. Mais c’est qu’on imagine pas quelles cartes Straczynski a dans sa manche. Quand à Marcus, il s’impose dès ses premières apparitions, constituant un personnage d’action bien plus abouti que ne pouvait l’être Keffer dans la seconde saison. Permettant enfin de donner une forme à l’ordre créé par Sinclair, il se révèle aussi efficace dans ses fonctions actives que dans son rôle humoristique, notamment au travers de sa relation complexe et riche, qui s’engage dès le départ, avec Susan Ivanova.
Les personnages sont globalement très bien gérés cette année, sans qu’on y trouve les errements fréquents dans la seconde. JMS se permet même de résoudre le sort d’un vieil ennemi. ‘‘Babylon Squarred’’, de la première saison, nous révèle cette année son coté face ‘‘War Without End’’, et avec lui le destin incroyable de Jeffrey Sinclair. Le premier commandant de Babylon 5 vient boucler la boucle dans un épisodes des plus stimulant,  jouissif et hallucinant de toute la série.

EN BREF :
A mes yeux la meilleure saison de la série, cumulant à doses parfaites la richesse et l’intensité de l’arc dramatique et le développement des personnages. On pouvait, avant ça, être devenu fan de Babylon 5. Mais avec cette saison, la série devient tout simplement addictive.

 

 

 

Polaris