‘‘Get to them, Tiger!

par Sullivan

UGC Astoria, Lyon 6eme, dimanche 18 juillet 2004, approximativement 19h40 :
Spider-Man 2 est sorti depuis quatre longues journées et enfin – enfin – je suis là. Je suis fan du personnage de Spidey. J’ai toujours tenu le premier film en très haute estime. Je ne pouvais pas ne pas être là. Bandes-annonces et publicités sont terminées, la salle s’éteint, le film commence. Après deux ans d’attente qui se sont mutés en terrible envie, puis en impatience folle ces derniers jours, nous en sommes enfin là.
Même lieu, approximativement deux heures plus tard :
Le film est terminé. La lumière vient de se rallumer. Nous ne sommes plus que quatre dans la salle. Il va vraiment falloir se lever.
Sam Raimi l’a fait. Je ne pourrai plus jamais dire que Spider-Man, premier du nom, était un chef d’œuvre. Car si cet excellent film était un chef d’œuvre, que pourrait être sa suite ? Je vais vous le dire : c’est certainement le plus grand film de comic-book jamais tourné, c’est un des plus grand film fantastique jamais réalisé. C’est indubitablement, incontestablement, un chef d’œuvre. Et rien ne pourra me faire changer d’avis. Sauf peut-être Spider-Man 3 !
La suite de cette review est à réserver à ceux qui ont déjà vu le film.

Deux ans ont passé depuis que Peter Parker, mordu par une araignée génétiquement modifiée, est devenu Spider-Man. Cela fait deux ans que l’Homme araignée lutte contre le crime New-Yorkais. Cela fait deux ans que le Tisseur ruine la vie de Peter Parker. Le jeune homme essaye de financer ses études (dont il rate les cours) par de petits boulots (dont il se fait virer parce qu’il est absent ou en retard). Pire, son double emploi du temps l’a inexorablement éloigné de ses amis, de Tante May, de Mary-Jane. Pourtant, la jeune femme est plus présente que jamais dans sa vie, par le biais des affiches de ses pièces de théâtre, de celles de ses contrats publicitaires. L’anniversaire de Peter est l’occasion d’une petite réunion qui ne sert qu’à rappeler à quel point Peter a perdu contact avec sa vie. Tante May doit affronter des relances de sa banque. Harry lui en veut d’être le photographe – peut-être l’ami – de Spider-Man, qu’il tient pour responsable de la mort de son père. Et MJ... Elle se heurte au mur qu’est devenu Peter depuis que deux ans plus tôt, après son affrontement avec le Bouffon, il a fait le choix du sacrifice.
Spider-Man a tué Peter Parker. Il est devenu un étudiant à la moyenne en berne, brillant mais perçu comme paresseux. Il s’interdit l’amour, sa vie lui file entre les doigts. Il n’arrive même pas à arriver à l’heure pour assister à la pièce de Mary-Jane.
Mais, dans le même temps, le super-héros commence à perdre ses pouvoirs... Grâce à un de ses professeurs et à Harry, Peter fait la connaissance du Docteur Otto Octavius. L’homme, brillant scientifique, travaille à la mise au point d’une nouvelle forme d’énergie. D’abord réticent à l’idée de parler à un étudiant, Octavius se prend vite au jeu et une relation de mentor se met en place entre lui et Peter. Le jeune homme est aux premières loges pour assister à l’expérience. Octavius revêt les bras articulés qui doivent lui permettre de contrôler la source d’énergie. Mais tout se passe mal. L’expérience est un désastre et Spider-Man doit intervenir pour y mettre fin. Entre-temps, la femme d’Octavius est morte, et la puce inhibitrice qui empêchait ses tentacules de prendre le contrôle de lui est détruite.
J. Jonah Jameson a tôt fait de trouver un nom au savant fou : le Dr. Octopus. Mais les affrontements entre lui et Spider-Man ne tourne pas vraiment à l’avantage du Tisseur, d’autant que ses pertes de pouvoir sont de plus en plus fréquentes. Le coup fatal à l’araignée est porté lorsque Parker assiste à la demande de Jameson à une soirée mondaine en l’honneur du fils du Directeur du Bugle... et que ce dernier arrive au bras de MJ. Il se dispute avec la jeune femme, pour qui il n’est plus qu’un siège vide, ainsi qu’avec Harry.
Dès lors, Spider-Man décide de raccrocher, et de redevenir Peter Parker. Adieu les grands pouvoirs, et avec eux les grandes responsabilités. Peter peut reprendre sa vie en main : étude, travail, et la reconquête de Mary-Jane Watson.

 

Le premier Spider-Man avait incroyablement bien réussi à synthétiser en deux heures ce qu’était le personnage, pourtant chargé de 40 ans de BD. Mais cette suite ne se base pas tant sur un prolongement de cette exploration largement défrichée par le premier opus, que sur la situation d’équilibre, fondamentalement malsaine, établie dans sa séquence finale, au cimetière – ce moment même où le personnage renonçait à MJ, et par là même à Peter Parker.
Là où ce film est cinématographiquement génial, c’est dans sa manière d’orchestrer la prise de conscience du caractère négatif de ce choix, aussi bien dans l’esprit de Peter Parker / Spider-Man que dans celui du spectateur. Elle se manifeste en effet, le long de sa première partie, par une alternance de scènes dramatiques et de comique de situation. Cette structure pourrait être perçue comme une recette de scénariste ; elle est incontestablement une réussite totale en terme de rythme et de ton – le film atteint un réalisme psychologique et dramatique formidable sans jamais sombrer dans le pathos (la scène de la révélation par Peter à Tante May de son rôle exact dans la mort d’Oncle Ben est à cet égard aussi bouleversante qu’exemplaire). Mais, en vérité, ces soit-disant ‘‘respirations’’ comiques sont autant de points d’articulations majeurs de la démonstration du cinéaste.
Ainsi, on découvre d’abord que Spider-Man, dans un ascenseur avec un anonyme, n’est pas pris au sérieux, est confondu avec un fan fêlé. Comme si le manque d’estime qu’il a pour lui-même du fait de ses remords vis à vis de ses amis, déteignait sur la perception qu’on les autres de lui. Plus tard, à la laverie, Peter constate, dépité, que son costume de super-héros a déteint sur ses vêtements. Insidieusement, Sam Raimi déroule sa démonstration : Peter Parker et Spider-Man ne sont qu’un, ne peuvent faire qu’un. Toute division, toute schizophrénie artificielle, ne peut conduire qu’à la déconstruction de l’un et l’autre. Ce point culmine lors du morceau de bravoure ultime du héros, la séquence du métro aérien où Spidey effectue son plus gros sauvetage à visage découvert. Poussé dans ces derniers retranchements, l’évidence que c’est son identité double qui fait de lui une personne entière s’impose à lui. L’union a été faite – elle deviendra totale quelques moments plus tard lorsque, enfin, cette union de fait sera révélée à MJ. Pour l’heure, c’est aux New Yorkais de communier avec lui car, comme Tante May et son petit voisin, ils savent reconnaître un héros quand ils en voient un. Ils s’associent à Spidey par un pacte – ‘‘nous ne diront rien’’, lui disent-ils avant de lui tendre son masque. Une série de scènes d’une intensité visuelle et dramatique démente, chargé d’espoir et d’une certaine candeur positiviste qui fait chaud au cœur.
Ce travail sur Peter Parker, qui passe par d’autres étapes et se révèle d’une incroyable richesse, est à l’image de celui appliqué aux autres personnages du film. Mary-Jane, cruellement déçue par Peter, s’engage dans une nouvelle relation. Mais, tout au long de la première partie du film, on la voit essayer de dire à Peter qu’elle est encore disponible pour lui, mais qu’il ne lui reste que peu de temps. La réussite d’un tel axe dramatique se mesure à la manière dont, lors de la scène de la cassure, à la réception en l’honneur du fils Jameson, on souffre autant pour les deux personnages. A propos de MJ, l’une de ses scènes met en valeur une autre force du film : son respect de l’intelligence de son public, sa confiance en lui, et sa volonté de s’adresser à ceux qui ont vu et aimé le premier film. Ainsi on nous montre la jeune femme tester son amour pour son futur époux en l’embrassant la tête à l’envers, ce qui ne peut s’interpréter totalement que si l’on a vu l’emblématique baiser de Spider-Man. En une image, on nous montre donc dans quelle direction la porte son cœur, mais aussi que, de manière plus ou moins diffuse, elle a effectivement compris au cours de la scène du cimetière que Spider-Man et Peter ne faisaient qu’un. Mais, pour le prendre en compte, il faut d’abord que l’intéressé le fasse lui-même.
Autre personnage phare de la saga cinématographique, Harry Osborn, lancée sur une trajectoire sombre puisqu’il sait que Spider-Man a tué son père, sans en connaître la raison. Sur ce personnage se fait très clairement ressentir la patte d’Alfred Gough et Miles Millar, les créateur de Smallville à l’origine d’une première version du script, dont on peut dire qu’ils pillent sans vergogne leur propre travail sur le personnage de Lex Luthor dans leur série. Au moins, on voit qu’ils sont conscient de leur force (dommage pour leur série qu’il faille l’écrire au singulier). Quoi qu’il en soit, cette caractérisation est réussie et sert le propos du film. La dualité qui habite le personnage lorsqu’il livre à Octopus le lien entre Peter et l’araignée, tout en lui demandant de ne pas lui faire de mal, fait mouche. Autre avantage, le cinéma va vite et évite de jouer la montre comme on est tenté de la faire sur les séries mal conçues, si bien que nous assistons dès la fin du métrage à la révélation à Harry de l’identité de Spider-Man. Le final joue avec habileté d’une certaine ambiguïté lorsque, peu après cette première révélation, Harry découvre également la double identité de son père. Dès lors, quelle sera son évolution ? Rendez-vous dans trois ans !
Enfin, et c’est peut-être l’une des qualités que Spider-Man 2 a en plus par rapport à son prédécesseur, un autre personnage dont la psychologie se révèle aussi riche qu’intéressante est celui du méchant, Otto Octavius. Non pas, d’ailleurs, que le Bouffon ait été un mauvais bad guy. Mais s’il était incontestablement le vilain le plus emblématique des comics, il n’était pas nécessairement, loin s’en faut, le plus cinématographique. Ce qu’Octopus est totalement. Le personnage, d’ailleurs, et sans pour autant que l’on ait une sensation de redite, reprend à son compte certaines caractéristiques de Norman Osborn. Notamment pour ce qui concerne la relation de proximité qui s’établit entre lui et Peter (c’était une relation de père à fils entre Norman et Peter, ici il s’agit plutôt une relation de mentor impressionné à élève brillant), ou encore la schizophrénie. Quoi qu’il ne s’agisse pas à proprement parler de schizophrénie, mais de dialogue interne entre le professeur que sa réputation a rendu un peu trop sûr de lui et l’intelligence artificielle de ses bras tentaculaires, désireux d’accomplir leur office. Doté de capacités physiques aussi spectaculaires qu’originales il permet la mise en place de toute une série de morceaux de bravoures visuels. Ils le sont d’autant plus que les enjeux psychologiques qui les sous-tendent sont crédibles.
Les réussites du script sont indéniables. Elles ne seraient que peu de choses sans cette distribution hallucinante de précision, de subtilité et de justesse. Peut-être plus encore que dans le premier film – là encore, l’impossible est arrivé – Tobey McGuire EST Peter Parker. Tout lecteur de la BD a l’impression qu’elle s’incarne en lui sous ses yeux. Et c’est aussi le cas de Molina, même si le Dr. Octopus du cinéma diverge sensiblement (pour le meilleur) de celui de la bande-dessinée.

En fin de compte, Spider-Man 2 laisse Peter Parker dans une situation d’équilibre relatif : il a fait la paix avec sa dualité, et celle-ci a été révélée à MJ comme à Harry. Mais cette situation n’est finalement guère moins explosive que celle de la fin du premier opus. Car Harry risque fort d’avoir quand à lui définitivement perdue la voie de l’équilibre, et quelle que soit leur bonne volonté, la relation entre MJ et Peter a toutes les chances de passer par des moments difficile. C’est ce qu’on aime, au bout du compte. Comme l’admet Sam Raimi, on aime rien de plus que voir ce héros souffrir. Il y a une part de sadisme là-dedans, bien sûr, mais aussi le fait qu’ensuite, son bonheur n’en paraît que plus grand...